samedi 18 novembre 2017

Est-ce une mauvaise idée d’avoir moins d’enfants ?

Article original de Ugo Bardi, publié le 14 septembre 2017 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Jorgen Randers à l’Université d’été du Club de Rome à Florence en Septembre 2017


L’Université d’été du Club de Rome a donné lieu a un débat intéressant lorsqu’un jeune participant a demandé à prendre la parole et à parler de ce que lui et son groupe voyaient comme un problème : la tendance actuelle à avoir moins d’enfants. Il a montré des données sur la répartition déséquilibrée par âge qui en résulte, avec trop de personnes âgées qui se révèlent être un fardeau pour la société. Et il a déclaré qu’avoir une répartition si déséquilibrée pourrait être une catastrophe dans le cas d’un ralentissement économique ou même d’un effondrement.

 

Jorgen Randers a donné une réponse forte à cette présentation. Je la rapporte de mémoire, mais je pense que je suis fidèle à l’essentiel.

Randers a dit quelque chose comme ceci :
« Jeune homme, vous avez fait une très mauvaise présentation. Je pense que c’était vraiment horrible et que vous devriez cesser de la présenter. Vous voyez, le problème que vous présentez est un problème totalement faux. Il vient du fait que, par le passé, dans la plupart des sociétés occidentales, des accords ont été établis pour que les familles fournissent des enfants, alors que l’État soutiendrait les personnes âgées. Maintenant, bien sûr, avec plus de personnes âgées, l’État doit payer plus. Mais nous oublions qu’ayant moins d’enfants le fardeau pour les familles – et pour la société – est plus réduit.
Donc, il existe une solution simple à ce que vous voyez comme un problème : relever l’âge de la retraite. C’est ce que mon pays, la Norvège, a fait. Ils laissent aux citoyens le choix de prendre leur retraite, mais ils ne donnent des conditions favorables qu’à ceux qui se retirent plus tard. Et la plupart des citoyens décident de prendre leur retraite à un âge tardif. Regardez moi : j’ai 72 ans, je travaille encore et je pense que je continuerai à travailler jusqu’à l’âge de 85 ans avant de me retirer. Mais je continue de travailler et je ne vis pas d’une pension, alors je ne suis pas un fardeau pour la société. Et je prends toujours soin de ma mère de 99 ans, qui n’est pas un fardeau pour les jeunes générations. Donc, le problème que vous posez est principalement notre propre création et il paraît insignifiant par rapport au problème beaucoup plus important et difficile de la surpopulation. Nous devons prendre en compte qu’il existe des limites à la croissance et que si nous voulons résoudre le problème de la surpopulation, nous devons avoir moins d’enfants. »
Cette histoire est intéressante pour diverses raisons. Peut-être que Randers était trop sévère pour le jeune militant, qui ne disait pas que nous devrions continuer à avoir beaucoup d’enfants. Mais il est remarquable de voir que la question de la population est émotionnellement chargée. Pour certaines personnes, tout effort visant à réduire le fardeau de la population humaine sur l’écosystème équivaut à peine moins qu’un sacrilège. Une insulte au droit humain de dominer tout ce qui n’est pas humain.

Sur les raisons de cette attitude, je ne peux pas en dire grand chose, si ce n’est que cela semble plutôt commun. J’ai été surpris de la voir apparaître lors d’une réunion consacrée à la durabilité et, sûrement, elle doit être encore plus commune à l’extérieur du monde des personnes concernées par ce sujet. Comme autre exemple de cette attitude humano-centrée, je pense qu’il est approprié de reproduire ici une publication datant de l’année dernière sur « Cassandra Legacy ».



Par Ugo Bardi − le 18 juin 2016 − Source Cassandra Legacy

 Si la Suisse avait un désert du Sahara, ce serait une petite Afrique. Est-ce que le monde a vraiment un « problème de surpopulation » ?



Faire face à des problèmes tels que l’épuisement du pétrole et le changement climatique est déjà chargé sur le plan politique et émotionnel, mais, du moins, ce sont des problèmes physiques que nous pouvons examiner en utilisant la méthode scientifique. Mais la surpopulation ? C’est la recette parfaite pour une querelle politisée instantanée.

Le film Population Boom de Werner Boote est un bon exemple de la façon dont la question de la population peut devenir émotionnelle. Il commence presque immédiatement par un ciblage du Révérend Malthus, accusé d’avoir « prédit une catastrophe pour 1860 » (quelque chose que le pauvre Malthus n’a jamais dit). Ensuite, il continue une heure et demie dans sa tentative de démontrer qu’il n’y a pas vraiment un « problème de surpopulation ». La thèse du film est plutôt que le monde est mené par une conspiration d’élites des pays riches qui tentent d’empêcher les gens des pays pauvres d’avoir autant d’enfants qu’ils le veulent pour qu’ils puissent aussi devenir riches et défier la domination mondiale des élites actuelles.

Si nous acceptons l’idée que toutes les opinions sont légitimes, alors aussi celle-ci devrait l’être – même si elle est probablement un peu trop extrême pour la plupart d’entre nous. Le problème est que la façon dont le film tente de démontrer sa thèse oscille entre l’ennui et la folie, sans jamais fournir d’argument sérieux. Principalement, nous voyons le cinéaste, M. Werner Boote, se promener en portant son parapluie dans des endroits où il ne semble jamais pleuvoir. Dans ses divagations, M. Boote s’entretient avec des gens qui, franchement, ne semblent pas avoir la moindre idée au sujet de la surpopulation, à part la considérer comme une invention d’élites occidentales mal intentionnées (et il en va de même pour le réchauffement climatique, défini explicitement comme tel dans l’une des ces entrevues).

La plupart des arguments présentés dans ces entretiens sont si stupides qu’ils ne valent même pas la peine d’être déconstruits. À titre d’exemple, dans une scène, nous voyons M. Boote (pour une fois sans son parapluie) en train de discuter avec un homme qui lui dit que l’Afrique n’est pas surpeuplée car elle ne compte que 40 habitants par kilomètre carré par rapport aux 170 de l’Europe. Ensuite, l’homme mène Boote quelque part au sommet d’une colline et il lui montre un paysage vide, en disant : « Est-ce que tu vois ? L’Afrique n’est pas surpeuplée ! »

Maintenant, il existe plusieurs problèmes ici. Tout d’abord, les chiffres sont faux, du moins en partie. La donnée de la densité de population en Afrique semble être correcte, mais la densité de la population en Europe est de 105 habitants par kilomètre carré, pas 170. Peut-être l’informateur de M. Boote a-t-il pensé à l’Europe de l’Ouest, mais si vous considérez cela comme l’Union européenne, alors la densité de population n’est encore que de 116. Ensuite, on serait tenté de rappeler à l’informateur de M. Boote que l’Europe n’a pas de désert comme celui du Sahara ; pour ne rien dire du désert du Kalahari et d’autres régions inadaptées à l’occupation humaine en Afrique. Ainsi, il oublie volontiers qu’un pays africain comme le Nigeria a environ la même densité de population que la Suisse (près de 200 personnes par km carré), pour ne rien dire du Rwanda, qui compte 460 personnes par km carré (plus de deux fois celle de la Suisse). Enfin, on pourrait montrer à M. Boote et à son informateur la vallée de Yosemite ou la vallée de la mort et ensuite leur dire : « Vous voyez ? Presque personne ne vit en Californie ! ».

Je pourrais continuer, mais je pense que c’est suffisant pour ce film. Permettez-moi simplement d’ajouter que si vous pensez que les pauvres ne polluent pas l’écosystème, vous feriez bien de lire cette publication par Jacopo Simonetta.

Ugo Bardi

Note du traducteur

Cet article fait partie d'une série de conférence faites à l'Université d'été du Club de Rome dont fait  parti Ugo Bardi. Dans la liste des membres, seul émerge Joseph Stiglitz comme personnalité connue. À priori aucun Français n'en fait partie comme membre actif. En lisant les biographies des autre membres, on retrouve l'ONU, des ONGs, des universités, bref des gens intégrés à la globalisation. Alors déni plausible pour une gouvernance mondiale (un nouvel ordre...) ou organisation altruiste tirant courageusement la sonnette d'alarme ? Il est cependant étonnant qu'en suivant les publications d'Ugo depuis trois ans, ce soit la première fois qu'il exprime un lien explicite avec ses activités au Club de Rome. À suivre donc.

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