jeudi 23 novembre 2017

Au bord de la guerre

Article original de Abdel Bari Atwan, publié le 10 novembre 2017 sur le site raialyoum.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

La purge de Muhammad Bin-Salman en Arabie Saoudite est le prélude à quelque chose de plus grand

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Notre région est au bord de la guerre. Nous ne devrions pas laisser de petits détails – comme la démission du Premier ministre libanais Saad al-Hariri ou la détention de princes et d’anciens ministres en Arabie saoudite – nous détourner d’une compréhension plus large des développements réels qui se déroulent en coulisses. La phase vraiment dangereuse est celle qui suivra la purge du prince héritier Muhammad Bin-Salman sur le front intérieur saoudien. Elle peut être le précurseur de scénarios pour une guerre régionale qui pourrait, sans exagération, finir par être la plus dévastatrice de son histoire moderne.

Tout ce qui se passe actuellement fait partie d’un plan soigneusement planifié et élaboré, et c’est le prélude à une guerre sectaire menée sous le couvert d’un « nationalisme arabe » contre le pouvoir croissant de l’Iran « chiite » et de ses substituts au Yémen, au Liban et en Irak avec le soutien régional américain et israélien.




L’ancienne Arabie saoudite n’est plus. Le wahhabisme respire encore, mais à peine, et il est en train de devenir une histoire du passé. Un quatrième État saoudien, vêtu de modernité et basé sur des alliances différentes, est en train de naître.

Alors que son futur fondateur et homme fort, Muhammad Bin-Salman, accuse l’Iran de monter une “attaque militaire directe qui peut constituer un acte de guerre” contre son pays en fournissant prétendument des missiles à des factions au Yémen, et que sa position est approuvée et soutenue par les États-Unis, il est clair qu’une nouvelle alliance dirigée par les Américains prend forme dans la région.

La purge de Muhammad Bin-Salman, incluant la détention de 11 princes et de dizaines d’hommes d’affaires et d’anciens fonctionnaires sous la bannière de la lutte contre la corruption, n’est qu’une première phase. Il semble qu’elle se soit déroulée sans heurt jusqu’à présent, sans rencontrer d’obstacles sérieux.

L’homme a maintenant pris en main les quatre principaux piliers du pouvoir de l’État – l’économie, la sécurité et les forces militaires, les médias et l’establishment religieux (le Conseil officiel des hauts Oulémas et les non-officiels clercs “éveillés”). Ils sont totalement sous son contrôle. Il a jeté tous ses adversaires, et tous ceux qui ont critiqué son gouvernement derrière les barreaux (ou, dans le cas des princes et d’autres personnalités de haut rang, les a incarcérés dans un hôtel de luxe, pour le moment). Cette dernière série de mise en détention ne sera probablement pas la dernière, car il s’agit d’un bulldozer qui nivelle tout ce qui se trouve sur son chemin.

En temps voulu, Muhammad Bin-Salman passera à ce que nous croyons être une deuxième phase plus sérieuse, celle de la confrontation militaire.

Cela pourrait inclure les étapes suivantes :

Premièrement, précipiter une confrontation militaire avec l’Iran avec en toile de fond le siège impitoyable du Yémen, après avoir imposé un blocus terrestre, aérien et maritime total sous prétexte d’empêcher les missiles iraniens d’arriver entre les mains des Houthis.

Deuxièmement, la formation d’une nouvelle alliance sur le modèle de la coalition Tempête du désert formée en 1990 pour expulser les forces irakiennes du Koweït. Les candidats à cette coalition, outre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, comprennent la Jordanie, l’Égypte, le Soudan et le Maroc. (Le roi du Maroc qui était, par coïncidence, dans la capitale des Émirats arabes unis, Abou Dhabi, chercherait à négocier avec l’Arabie saoudite au sujet des récentes détentions : il a reçu le message clair de Riyad de ne pas interférer avec ce qui se passe en Arabie saoudite, selon des sources fiables).

Troisièmement, le bombardement du Liban et la destruction de ses infrastructures sous prétexte d’essayer d’éradiquer le Hezbollah. Un tel assaut conduirait le parti à riposter par des frappes de missiles intensives contre Israël, et serait plus susceptible que jamais d’entraîner l’Iran et la Syrie.

Quatrièmement, une invasion du Qatar par les forces égyptiennes, émiraties et saoudiennes visant à renverser son régime, précipitant un affrontement avec la force turque de 30 000 hommes déployée dans ce pays.

Cinquièmement, une contre-offensive américano-saoudo-israélienne en Syrie visant à reconquérir les zones perdues par les États-Unis et les forces proxy de leurs alliés comme Alep, Homs et Deir ez-Zor. Les États-Unis ne peuvent pas facilement digérer leur défaite en Syrie du fait de la Russie et de l’Iran, même au risque de provoquer une collision avec la Russie. Ils ont délibérément saboté la conférence sur le dialogue national syrien à Sotchi, que Moscou avait appelé de ces vœux, en demandant à l’opposition syrienne de la boycotter.

Sixièmement, mobiliser les milices kurdes dans le nord de l’Irak et la Syrie en tant que mandataires américains dans ces guerres dans le but d’affaiblir et de déstabiliser l’Iran, la Turquie et l’Irak.
Ce ne sont là que les plus évidentes des mesures que peut prendre la nouvelle alliance dirigée par les États-Unis – peu importe comment elle choisit de s’appeler.

Mais rien de tout cela ne signifie que cette coalition soit assurée de réussir dans la réalisation de ses objectifs pour remodeler la région selon ses spécifications.

Le contre-scénario pourrait être celui de la consolidation d’une alliance irano-syro-turco-irakienne avec laquelle la Russie sympathiserait d’abord et qu’elle pourrait finir par diriger. Ensemble, ces pays possèdent de formidables arsenaux de missiles qui viseraient principalement l’Arabie saoudite, les EAU et Israël. Les systèmes anti-missiles Patriot des États-Unis tant vantés, achetés par ces États-cibles, seraient inefficaces face aux frappes intensives de milliers de missiles lancés simultanément.
La mesure du succès dans cette guerre régionale que l’on peut anticiper et qui peut être imminente serait la destruction de l’Iran, le changement de régime au Qatar et l’éradication du Hezbollah. Mais son échec signifierait des ravages pour l’Arabie saoudite, Israël et les EAU, et le démembrement du royaume saoudien en fragments.

Nous ne sommes ni devins ni diseurs de bonne aventure. Néanmoins, ceci peut s’avérer être la dernière guerre de transformation de la région, changeant ses États, ses frontières, et peut-être aussi ses populations. Les Arabes et les Iraniens survivront certainement à un tel cataclysme. Mais Israël dans sa forme actuelle peut-il survivre aussi ?

Abdel Bari Atwan

Note du traducteur

Il est fort peu probable que le Hezbollah lance un quelconque missile autrement que sur une force d'invasion terrestre israélienne, scénario peu probable. Nasrallah est bien trop rusé pour laisser une seule image de juifs morts dans les rues de Tel-Aviv qui permettrait une gigantesque campagne médiatique contre l'Iran, justifiant la destruction de ce pays. Au contraire, comme en Syrie qui a refusé de répliquer sur le sol israélien aux multiples provocations, ou en Ukraine ou les Novorusses n'ont pas répondus plus que nécessaire aux mêmes provocations, ce sont les destructions du Liban qui pourraient enfoncer encore un peu plus l'image désastreuse de l'Arabie saoudite, d’Israël et des USA.

Trump y laisserait ses derniers quarterons de supporters aux États-Unis, la gauche libérale et sociétale, soutenant cette coalition, serait décrédibilisée en Europe. Il semble plus probable que les rodomontades de cette coalition ne trouvent en face qu'un silence poli et pas du tout la montée aux extrêmes attendue pour justifier une guerre régionale, seule capable de renverser la table. Et enfin, il reste le rôle de l'éléphant dans la région, la Chine, qui avec sa route de la soie peut permettre le développement... ou pas, des pays impliqués dans une aventure militaire sans lendemain.

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