mercredi 19 avril 2017

Crimée : De la Guerre mondiale 0 à la Troisième

Article original de Ugo Bardi, publié le 10 Avril 2017 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr



 
Aujourd’hui, nous nous souvenons peu de ce que nous appelons la guerre de Crimée (1853-1856), même si elle a été la plus grande guerre jamais menée dans l’Histoire jusque là. Elle a préfiguré plusieurs des éléments qui reviendraient plus tard dans les deux guerres mondiales du XXe siècle, à tel point qu’on pourrait l’appeler « Guerre mondiale 0 ». Elle a inclus les combustibles fossiles comme cause ultime des conflits, un rôle renforcé de la propagande, la tendance des dirigeants à perdre le contrôle des guerres qu’ils ont entamées et l’origine de la « russophobie » encore commune en Occident à notre époque. Ces éléments peuvent nous en dire beaucoup sur ce que pourrait être une « Troisième Guerre mondiale » à l’avenir. Ci-dessus, vous pouvez voir une peinture de Vasilii Nesterenko (2005) qui célèbre la défense russe de Sébastopol en 1855. Il est clair que la défense de la Crimée n’est pas une question insignifiante pour les Russes, qui ont perdu environ 400 000 hommes dans la guerre de Crimée.


Il y a beaucoup de matériel dispersé sur le Web au sujet de la guerre de Crimée, mais rien de ce que j’ai trouvé n’est vraiment satisfaisant pour déterrer les vraies raisons qui expliquent le désastre que cela a été. Donc, voici ma tentative pour créer un ordre de ce chaos. Ce n’est pas censé être définitif : si vous trouvez le temps de le lire, il vous appartient de juger.

L’un des thèmes curieux de la guerre de Crimée de 1853-1856 est que nous nous en rappelons si peu. Demandez à quiconque de parler de cette guerre, qui a gagné, qui a perdu, et même qui a combattu et les réponses sont susceptibles d’être au mieux vagues. Il semble que la seule chose dont on se souvienne aujourd’hui de cette guerre est la charge désastreuse de la British Light Brigade à Balaclava. C’est comme si nous ne nous souvenions de la Deuxième Guerre mondiale uniquement pour l’épisode du sauvetage du Soldat Ryan.

Pourtant, la guerre de Crimée était la plus grande jamais menée à ce moment-là. C’était un engagement mondial qui impliquait pratiquement toutes les grandes puissances militaires de l’époque, près de deux millions de combattants et des pertes qui peuvent être estimées entre un 500 000 et un million. À plusieurs égards, la guerre de Crimée préfigurait les guerres mondiales qui se dérouleraient au cours du XXe siècle, en particulier pour le rôle de plus en plus important de la propagande. Pour cette raison, nous pouvons l’appeler à juste titre « guerre mondiale 0 ».

Mais pourquoi cette guerre ? Et pourquoi a-t-elle été tellement oubliée, du moins en Occident ? Pour que cela se passe ainsi, il doit y avoir une raison et, dans notre cas, il y a même plusieurs raisons. Nous pouvons les trouver dans un mélange de facteurs économiques et dans l’incompétence monumentale de certains dirigeants. Mais nous devons commencer par le début.

Beaucoup de luttes du XIXe siècle ne peuvent être comprises qu’en tenant compte du rôle du charbon dans l’histoire. À partir de la fin du XVIIIe siècle, le charbon a créé la révolution industrielle dans les pays dotés de ressources en charbon. Cela, à son tour, a généré un excédent économique qui a été utilisé en grande partie pour construire des pouvoirs militaires et leurs empires. Les deux plus grands empires du XIXe siècle étaient britanniques et russes, le premier dominant les mers, le second la masse continentale eurasienne. L’Angleterre possédait les plus grandes ressources de charbon au monde et c’était aussi le pays le plus industrialisé à cette époque. La Russie n’était pas aussi industrialisée que la Grande-Bretagne, mais elle avait d’énormes ressources humaines et minérales qui en faisaient un acteur majeur dans le jeu de domination du monde. À cette époque, il est devenu commun de parler du « Grand jeu », également connu sous le nom de « Bolshoya Ikra » en russe. Et à partir des langues utilisées pour définir le jeu, vous pouvez comprendre qui étaient les joueurs. Il se joue encore aujourd’hui, même si la capitale de l’Empire de la mer est passée de Londres à Washington.

Alors que les empires, basant leur puissance sur le charbon, s’élargissaient, les régions qui n’avaient pas de ressources en charbon étaient en difficulté. Bien sûr, le charbon pouvait être importé, mais cela impliquait d’avoir un système complet de distribution du charbon. Pas de charbon, pas d’industrie. Pas d’industrie, pas de pouvoir militaire. C’était la situation de l’Empire ottoman, appelé à l’époque « l’homme malade de l’Europe ». Mais l’ancien empire n’était pas malade : il était affamé de charbon. Il n’en produisait pas et les terres qu’il contrôlait étaient trop sèches pour être adaptées aux voies navigables. C’était un problème créé par la géologie et, en tant que tel, pas modifiable par la politique. Ainsi, l’Empire ottoman était destiné à être découpé par les États charbonniers, un processus qui devait se terminer avec la première guerre mondiale.

Il était clair à la fois pour la Russie et la Grande-Bretagne que le Grand jeu était une compétition pour les bijoux de l’État ottoman. Les Russes descendaient du Nord, en Asie centrale et dans les Balkans. Les Britanniques traçaient leur route depuis le Sud, le Moyen-Orient et la région méditerranéenne. Dans une série de guerres menées au cours du XVIIIe siècle, les Russes ont atteint les rives de la mer Noire. Pendant le règne de Catherine II, les Russes ont vaincu encore une fois l’Empire ottoman et, en 1783, ils ont annexé le Khanate de Crimée, autrefois un protectorat des Ottomans.

Pour les Russes, la Crimée n’était pas seulement un terrain de plus pour leur immense empire. Avec le port militaire de Sébastopol, la Crimée a été un tremplin pour une expansion plus poussée vers le sud. Sébastopol a également donné à la Russie la possibilité de projeter sa puissance navale en Méditerranée. Bien sûr, les Britanniques n’aimaient pas l’idée de partager la Méditerranée avec les Russes, mais il semblait qu’ils devaient faire avec. Après tout, si les Russes travaillaient à affaiblir l’Empire ottoman du Nord, cela donnait aux Britanniques de meilleures chances d’avancer au Sud. C’était la situation jusqu’à ce que les Français fassent tanguer le bateau vers 1850, en commençant une querelle sur une question banale sur les droits des chrétiens vivant dans l’Empire ottoman, menant finalement à une grande guerre mondiale.

En ce temps-là, la France était un autre empire puissant. C’était l’un des premiers États à s’engager dans l’utilisation à grande échelle du charbon et, au début du XIXe siècle, il était devenu le pouvoir dominant en Europe centrale et occidentale. C’était l’origine de l’aventure désastreuse de Napoléon en Russie en 1812 : une tentative d’éliminer un rival majeur dans la domination de l’Europe. L’erreur colossale de Napoléon était typique des dirigeants, partout et de tous les temps : surestimer l’armée qu’il commandait.

Les erreurs ont tendance à générer plus d’erreurs en retour et cela est vrai pour les individus aussi bien que pour les empires. Quelque 40 ans après la défaite de Napoléon en Russie, la France avait reconstruit sa force militaire et l’Europe était face à une nouvelle confrontation militaire. Comme auparavant, c’était le résultat de facteurs économiques et du mauvais jugement des personnes qui contrôlaient les états les plus puissants de cette époque. Cette fois, les bêtises ont été faites principalement par Louis-Napoléon, qui s’était qualifié « Empereur des Français » et avait pris le nom de « Napoléon III ».

Pour être un empereur crédible, Louis-Napoléon avait besoin du type de prestige qui ne peut provenir que des victoires militaires. Peut-être, a-t-il voulu se venger de la défaite de son oncle contre les Russes en 1812, mais, bien sûr, il ne pouvait même pas rêver faire marcher l’armée française sur Moscou. Pourtant, il pensait que les Russes étaient les ennemis de la France et il s’efforçait de construire une coalition pour combattre la Russie. Il ne pouvait pas comprendre que le jeu au milieu du XVIIIe siècle n’était plus le jeu qui avait été joué au temps de Napoléon 1er. Louis-Napoléon a commis l’erreur que décrit Lao Tzu en disant que « la tactique sans la stratégie est le bruit avant la défaite ». C’était exactement ce qui devait arriver avec la guerre de Crimée.



L’escalade qui a conduit à une guerre totale était probablement quelque chose qu’aucun des leaders impliqués ne pouvait contrôler, voire même comprendre. C’était un pressentiment sinistre de ce qui se passerait 60 ans plus tard, lorsque l’Europe devait se déchirer lors de la première guerre mondiale. Peut-être est-ce un présage encore plus inquiétant de ce que la propagande peut faire lorsque la presse occidentale a commencé à décrire les Russes comme des méchants sauvages, comme vous le voyez par cette image, à partir de 1855. À cette époque, la propagande n’était pas aussi sophistiquée qu’elle l’est aujourd’hui, Mais l’idée est toujours la même : ils sont mauvais et nous sommes bons.

Finalement, les Ottomans ont déclaré la guerre à la Russie en octobre 1853, sachant qu’ils étaient soutenus par la France et la Grande-Bretagne. Ensuite, la guerre a explosé le long d’un anneau de feu qui a suivi les frontières russes, de la mer Blanche au nord-ouest jusqu’à la péninsule de Kamtchatka à l’est. Au début, l’idée d’attaquer la Crimée ne semble pas avoir été dans les plans de la coalition. Mais, une fois constituée une force militaire en mer Noire, quelqu’un a du se rendre compte que le port de Sébastopol était un excellent objectif pour démontrer le pouvoir supérieur de la coalition. L’idée correspondait très bien à Louis-Napoléon : en conquérant Sébastopol, il pouvait prétendre avoir vengé la défaite française de 1812. En septembre 1854, des troupes britanniques, françaises et ottomanes arrivèrent en Crimée avec un objectif ambitieux : prendre Sébastopol.

Ils ont réussi, mais le prix fut très élevé. En août 1855, au bout de près d’un an de lutte, les Russes ont abandonné Sébastopol après avoir détruit la majeure partie de ce qui restait intact après les bombardements alliés. La chute de Sébastopol a effectivement mis fin à la guerre. Il s’en est suivi des négociations et le traité de Paris (1856) qui a essentiellement reconnu qu’aucun des deux partis ne voulait continuer à se battre. En tout cas, le résultat de la guerre de Crimée fut une défaite militaire pour les Russes, mais la seule obligation qui leur a été imposée fut de démilitariser la Crimée.

Dans le même temps, la guerre fut un succès militaire pour la coalition, mais les coûts ont été énormes et les résultats tangibles presque nuls. Les alliés avaient subi d’énormes pertes et n’ont pas pu garder la Crimée sous occupation pendant très longtemps. Quelques années plus tard, en 1870, la France a été vaincue par la Prusse. Comme il n’y avait plus de coalition pour empêcher les Russes de revenir et de remilitariser Sébastopol, ils l’ont fait. En 1877, la Russie et la Turquie étaient de nouveau en guerre l’une contre l’autre et, cette fois-ci, les puissances de l’Europe occidentale ne sont pas intervenues pour aider la Turquie. Plutôt, la Grande-Bretagne a profité de l’occasion pour arracher Chypre à l’Empire ottoman.

Comme c’est normalement la règle pour les guerres, la guerre de Crimée n’a servi à rien. Mais peut-être, dans ce cas, la futilité de toute cette aventure était plus évidente que dans d’autres. C’est peut-être pour cette raison que, dans les années qui ont suivi, la plupart des gens à l’Ouest se sont efforcés de tout oublier sur cette guerre malheureuse. Le seul souvenir laissé a été la charge colorée et dramatique des 600 à Balaclava. Nous nous souvenons toujours de cet épisode, aujourd’hui.

Mais les erreurs, comme nous l’avons vu, continuent à engendrer des erreurs et une source typique d’erreurs pour les leaders est leur tendance à voir le monde en termes d’amis et d’ennemis. Après la fin de la guerre de Crimée, il semble que les méchants de l’histoire aient été identifiés, non pas tant les Russes, mais les États européens qui avaient refusé de rejoindre la coalition contre la Russie : l’Autriche et le Royaume de Naples. Ces deux États ont été choisis comme un enjeu en valant la peine, en particulier par Louis-Napoléon. En 1859, les Français se sont engagés dans une campagne militaire visant à expulser les Autrichiens hors d’Italie, et ils ont réussi. Un an plus tard, Louis-Napoléon n’a rien fait pour empêcher le Piémont de vaincre et d’annexer le royaume de Naples, créant le « Royaume d’Italie » en 1861.

Par ces actions, Louis-Napoléon s’est tiré lui-même (et la France avec) une balle dans les deux pieds. Il n’avait pas compris le rôle croissant de la Prusse (un autre empire à charbon) en Europe centrale et que l’affaiblissement de l’Autriche signifiait donner à la Prusse une chance de s’étendre encore plus. Dans le même temps, le nouvel État italien est devenu un concurrent de la France pour la domination dans la région méditerranéenne et devait empêcher la France de se développer davantage en Afrique du Nord. Peut-être que Louis-Napoléon pensait que l’Italie serait devenu un protectorat français, comme l’avait été le Piémont. C’était une autre erreur colossale : dix ans plus tard, l’Italie était alliée avec la Prusse dans une guerre contre l’Autriche et la France. À Sedan, en 1870, la Prusse a infligé un coup mortel aux rêves impériaux français. Dès lors, l’Empire allemand devait être le meilleur chien de garde de l’Europe occidentale. Il joue toujours ce rôle aujourd’hui.

Vous voyez comment une chaîne d’événements affectant l’Europe est originaire de la guerre de Crimée de 1853-1856. À partir de cet événement, nous pourrions jouer au jeu du « Que se serait-il passé si… » Et si Louis-Napoléon n’avait pas poussé à la guerre contre la Russie ? Et s’il avait empêché l’union italienne ? C’est l’un des jeux fascinants auquel vous pouvez jouer avec l’Histoire, et je l’ai fait ici et ici. Peut-être que tout ce qui se passe dans l’Histoire est un jeu que les gouvernants jouent avec la vie de leurs sujets. Et, dans ce jeu, la Crimée semble jouer souvent un rôle important, même dans les temps modernes.

Au fil des ans, les empires ont changé de nom, mais la lutte stratégique pour la domination du monde est restée inchangée. Au cours de la Première Guerre mondiale, en profitant de la tourmente en Russie, les forces allemandes ont pris le contrôle de la Crimée en avril 1918. Ce fut une occupation de courte durée et les Allemands se sont retirés en novembre. La Russie tsariste a disparu et, en 1920, l’Armée rouge a occupé la Crimée après qu’elle avait été sous le contrôle de l’armée blanche anti-bolchevique et ensuite envahie par les Français. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Histoire se répétait une fois de plus. Les forces de l’Axe ont attaqué la Crimée en 1941 et ont réussi à prendre Sébastopol après un siège prolongé. Ensuite, l’Armée rouge a repris Sébastopol en 1944. Un modèle semble apparaître dans tous ces événements : les armées occidentales semblaient être toujours en mesure d’occuper la Crimée, mais jamais de la tenir bien longtemps.

L’Empire britannique a décliné au cours des décennies suivantes, remplacé par l’Empire américain ; l’Union soviétique a disparu en 1991, remplacé par la Fédération de Russie. Mais l’importance de la Crimée et du port militaire de Sébastopol est restée inchangée. À notre époque, l’accent mis sur la lutte s’est déplacé de plus en plus de la guerre traditionnelle au genre de guerre « hybride » qui inclut la propagande, l’infiltration et les psy-ops. En 1954, l’administration de la Crimée avait été transférée à un autre pays soviétique, l’Ukraine. Lorsque le coup d’État d’Ukraine de 2014 a déplacé le pays dans la sphère d’influence occidentale, il a semblé que l’Occident avait trouvé un moyen facile de prendre le contrôle de la Crimée. Cela n’a pas fonctionné comme prévu. Moins d’un an plus tard, la Russie a repris la Crimée dans une contre-opération, sans verser de sang contre cette guerre hybride. Encore une fois, nous voyons comment l’Occident, apparemment, peut prendre la Crimée mais ne peut pas la retenir.

Sans surprise, le retour de la Crimée en Russie (obrazovanje en russe) en 2014 n’a pas été pris avec beaucoup de fair-play en Occident et cela a mené à une autre série de guerres hybrides, cette fois fondées sur des sanctions économiques. La lutte est encore en cours et la petite péninsule de Crimée demeure l’un des principaux points de frottement de l’équilibre stratégique mondial. Outre l’importance du port militaire de Sébastopol, la Crimée a la caractéristique de faire partie de la Russie mais, en même temps, d’être déconnectée du continent russe et d’être vulnérable aux attaques par la mer. Ces caractéristiques en font une cible possible pour un leader occidental agressif. En même temps, l’importance de la Crimée pour la Russie est si élevée qu’aucun chef russe ne pouvait même rêver d’abandonner la Crimée avant d’essayer de la défendre avec tous les moyens disponibles. C’est une recette pour le désastre, aujourd’hui comme ça l’était à l’époque de Louis-Napoléon. Que cela nous amène à une autre guerre mondiale, la Troisième Guerre mondiale, reste à voir sans être totalement exclu.

Annexe : Point de vue d’Italie

Une partie peu connue de cette histoire est le rôle du Royaume de Naples dans la guerre de Crimée du XIXe siècle. Le Royaume avait une longue histoire d’amitié avec la Russie et, quelque 50 ans auparavant, la Russie avait envoyé des troupes à Naples pour aider (sans succès) le Royaume à repousser une attaque de la France. Il semble que les Russes considéraient le royaume du sud de l’Italie comme leur porte d’entrée dans la région méditerranéenne et entretenaient de bonnes relations avec lui. Au moment de la guerre de Crimée, il n’y avait pas d’alliance formelle entre le royaume de Naples et la Russie, mais lorsque les Britanniques ont prié le roi de Naples d’envoyer des troupes en Crimée pour rejoindre l’alliance anti-Russie, le roi a refusé. Il ne savait pas que, ce faisant, il signait la peine de mort pour son royaume. Même s’il était devenu clair que la Russie allait perdre, le roi de Naples a refusé de retourner sa veste comme l’empire autrichien l’a fait au dernier moment. Cela a transformé le Royaume de Naples en un paria aux yeux des Français et des Britanniques. Au lieu de cela, le royaume du Piémont (plus exactement, le royaume de Sardaigne) avait été plus intelligent et avait envoyé un corps expéditionnaire pour soutenir la coalition anti-russe. Nous pouvons peut-être comprendre quelque chose de la violence des combats de cette guerre de Crimée si nous constatons que, parmi les 15 000 soldats envoyés en Crimée depuis le Piémont, on rapporte que seulement 2500 personnes sont retournées chez elles en un seul morceau.

Ainsi, une grande partie de ce qui s’est passé en Italie après la guerre de Crimée s’explique par ces faits simples. Les Français et les Britanniques ont estimé que le Royaume du Piémont devait être récompensé pour son aide, alors que le Royaume de Naples devait être puni pour les raisons opposées. Le royaume de Naples n’avait pas de charbon ni de cours d’eau pour l’importer, et il était dans une position désespérément faible. La défaite de la Russie en Crimée avait empêché les Russes d’envoyer de l’aide à Naples et le royaume s’est retrouvé complètement isolé contre le royaume du Piémont industrialisé, alimenté par le charbon, bien soutenu par la Grande-Bretagne. L’expédition de Garibaldi en Sicile fut mise sur pied en 1860, avec des navires protégés par la flotte britannique. L’armée napolitaine a été vaincue, le royaume a été envahi par les Piémontais du Nord et ce fut la fin du Royaume de Naples et la naissance du Royaume d’Italie.

Ugo Bardi
 
Note du traduction

On pourrait se demander pourquoi nous nous acharnons à traduire Ugo Bardi avec une telle régularité, lui plutôt qu'un autre. Cet article en est une parfaite illustration. Il est l'un des rares à analyser l'Histoire et le présent avec plusieurs grilles d'analyses très pertinentes notamment l’étude des systèmes énergétiques, culturels, économiques et surtout leurs interactions dans le temps. On peut ne pas être d'accord avec tel ou tel de ses articles ou points de vue mais l'intérêt est aussi dans les questions posées.

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